Monsieur le Chancelier,
Madame la Ministre,
Monsieur et Madame les Fondateurs,
Messieurs,
Madame les Secrétaires Perpétuels,
Messieurs les Présidents,
Mon Père,
Chers Confrères, Chers Amis,
C’est avec beaucoup d’émotion que je m’exprime devant
vous ce matin. Ce prix de la Fondation Louis D de l’Institut est un immense
honneur et les mots me manquent pour montrer toute ma gratitude aux membres du
Conseil Scientifique, à l’Institut et aux généreux fondateurs qui, par leur
choix, nous ont exprimé cette reconnaissance exceptionnelle.
Plus
qu’à mes travaux, cette récompense prestigieuse est surtout pour moi un signe
très fort de l’intérêt que porte aujourd’hui notre communauté aux sciences de
l’imagerie du cerveau. La neuroimagerie est devenue une approche essentielle
pour le défi qu’est pour l’homme la compréhension du fonctionnement des 100 000
millions de neurones qui constituent notre cerveau.
Mais l’enjeu de ce défi est bien sûr à terme dans le domaine biomédical. La
neuroimagerie permet déjà aujourd’hui d’aider nos collègues neurologues et
neurochirurgiens à mieux préciser leur diagnostic, intervenir avec plus
d’opportunité et de précision, et à permettre à chaque patient d’avoir le
traitements qui lui est propre. Demain, une meilleure connaissance de notre
cerveau, permettra aussi de mieux comprendre comment notre cerveau vieillit et
comment il pourrait être fonctionnellement protégé, réparé ou rééduqué en cas
de besoin, voire interfacé avec des prothèses qui permettraient aux aveugles de
voir ou aux sourds d’entendre. La neuroimagerie permet ainsi de mettre en
évidence des anomalies fonctionnelles et non plus seulement anatomiques, du
plus haut intérêt pour des affections encore mal comprises comme les affections
de nature psychiatrique.
C’est encore la compréhension de nos sociétés qui bénéficiera des avancées de la
neuroimagerie et des neurosciences. Le cerveau isolé n’existe pas. Le cerveau
est social par essence, nous donnant une représentation personnalisée du monde
qui nous permet à chaque instant d’adapter notre comportement à notre
environnement social. Là encore la neuroimagerie a commencé à nous éclairer,
nous montrant les processus cérébraux impliqués dans la communication, qu’il
s’agisse de l’apprentissage des langues ou le bilinguisme, de l’art (écoute de
la musique ou la pratique d’un instrument), ou encore la représentation mentale
d’autrui et de ses intentions. Il y a 6 milliards de cerveaux sur notre planète
avec lesquels nous pouvons potentiellement interagir et notre cerveau résulte
d’un subtil et complexe équilibre entre les gènes que nous ont transmis nos
parents et nos aïeux, et ce que notre histoire personnelle et nos rencontres en
ont fait.
Ceci m’amène au 2ième message fort que m’inspire ce prix : les
barrières entre disciplines scientifiques sont en train de s’effondrer. J’ai eu
beaucoup de chance de pouvoir mener à bien en parallèle des études de médecine
et de physique. Je tiens ici à exprimer toute ma reconnaissance à mes maîtres
d’internat en radiologie, en neurologie et neurochirurgie ainsi qu’aux
physiciens et scientifiques que j’ai pu côtoyer et encore bien d’autres qui
m’ont formé, encouragé et aidé. Le temps m’empêche de vous nommer tous, mais je
vous remercie chaleureusement ainsi que tous les membres de cette prestigieuse institution
venus aujourd’hui.
La neuroimagerie moderne est un magnifique exemple de fertilisation croisée entre
disciplines. Les méthodes d’imagerie relèvent du domaine de la physique :
le prix Nobel de Physiologie et
Médecine a été décerné cette année à 2 physiciens, les Pr. Lauterbur et
Mansfield. Les aimants qui sont cœurs des scanners IRM ont été rendus possibles
grâce aux travaux sur la supraconductivité et la suprafluidité, chef d’oeuvre
de physique quantique, également récompensés par le prix Nobel de physique
cette année. Et le prix Nobel de chimie 2003 a été attribué pour des travaux
sur les mouvement de l’eau et des ions à travers les membranes cellulaires.
Le message est clair : alors la spécialisation scientifique extrême rendue
nécessaire par le volume des connaissances à acquérir a remplacé la vision
scientifique universelle qu’avait le savant d’autrefois, la compréhension du
cerveau impose de renouer avec cette culture ubiquitaire. Celle-ci n’est
possible qu’à une plus large échelle, par la juxtaposition d’équipes
multidisciplinaires. Physiciens, chimistes, mathématiciens, informaticiens ont
un rôle fondamental à jouer aux côtés des neurobiologistes, cognitivistes,
psychologues ou des cliniciens, et tous doivent travailler de concert tout en
gardant le respect de leur discipline d’origine.
Grâce à cette synergie, l’IRM deviendra le grand instrument nécessaire pour voir les
neurones à l’action, voir leurs connections, voir comment le cerveau se
construit et comment les gènes interviennent dans le fonctionnement du cerveau.
Ceci n’est pas facile car il existe parfois des barrières culturelles ou de langage
à l’interdisciplinarité. Je tiens donc tout particulièrement à saluer et
remercier les équipes multidisciplinaires avec lesquelles j’ai pu travailler
pour accomplir mes travaux depuis 20 ans, durant mon long séjour aux National
Institutes of Health aux Etats-Unis de 1987 à 1993, puis au sein du Service
Hospitalier Frédéric Joliot au Commissariat à l’Energie Atomique. C’est grâce
au soutien permanent et extrêmement actif de M. le Pr. Syrota que mon équipe de
l’UNAF a pu être constituée et qu’elle est en mesure aujourd’hui de mener des
recherches du plus haut niveau qui nous ont valu ce prix. Ensemble nous avons
décidé d’un grand projet et ce prix de la Fondation Louis D. est une immense
opportunité et un encouragement fort pour sa réalisation.
La quête du cerveau par l’image relève de défis scientifiques et techniques
majeurs. C’est dans ce cadre que le CEA propose de bâtir NEUROSPIN pour concevoir,
réunir et exploiter un ensemble de grands instruments physiques dédiés à
l’imagerie du cerveau. Repousser à l'extrême les limites actuelles de
l'imagerie cérébrale par la Résonance Magnétique à très haut champ magnétique,
tel est l’objectif de NEUROSPIN. Ce centre unique, situé à
Saint-Aubin dans l’Essonne près du centre CEA de Saclay, disposera de
ressources exceptionnelles et d’outils très performants d’une puissance à
ce jour inégalée.
Alors qu’aujourd’hui, la plupart des scanners IRM installés dans les hôpitaux fonctionnent à des champs
inférieurs ou égaux à 1,5T (ce qui représente quand même 30 000 fois le champ
terrestre…), le développement de protocoles de recherche plus ambitieux exige
des appareils à bien plus haut champ. Récemment, les États-Unis se sont dotés
de quelques systèmes opérant à 7, 8 voir 9,4T destinés aux études sur l’homme.
Chez l’homme le recours à des champs au-delà de 10T sur des diamètres proches
de un mètre relève d’un défi technologique.
Pour relever ce défi, le savoir-faire des équipes de physiciens du CEA, et en
particulier du DAPNIA, qui contribuent à l’équipement des accélérateurs de
particules du CERN, sera central. Plusieurs aimants équiperont NEUROSPIN:
-un
système 3T pour les études cliniques (volontaires, patients),
-un
système très haut champ opérant à 11,7T pour les études chez l’homme,
-un
système très haut champ opérant à 17T pour les études pré-cliniques.
NeuroSpin sera exploité par le CEA en étroite
collaboration avec les autres organismes de recherche (CNRS, INSERM, INRIA) et
les universités et les grandes écoles
d’Île-de-France, permettant une coordination des recherches, une mise en
réseau des compétences et une optimisation des moyens. Environ 160 chercheurs,
médecins, étudiants, ingénieurs,
techniciens, … sont attendus pour développer de nouveaux outils et de
nouvelles méthodologies au service des neurosciences et de la santé, permettant
de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain ainsi que ses anomalies
de développement et ses dysfonctionnements. NEUROSPIN contribuera aussi à la formation d’équipes
du plus haut niveau et d’importants efforts pédagogiques seront menés pour
sensibiliser le public aux bénéfices des recherches sur le cerveau et donner
aux jeunes le goût des études scientifiques.
Ce centre, à vocation nationale et internationale, alliant développements
méthodologiques d'avant-garde et applications dans des domaines
neurobiologiques du plus grand intérêt, dotera notre pays d’un instrument
unique. Son architecture, forte et originale, à l’interface de l’Art et de la
Science a été confié au cabinet Claude Vasconi et son équipement ainsi que ceux
des centres existants à proximités (comme le Service Hospitalier Frédéric
Joliot) positionneront confortablement l’Europe face aux réalisations
similaires en cours d’autres institutions prestigieuses comme les NIH ou le
complexe Harvard-MIT aux USA. NEUROSPIN participera à la constitution d’un
centre d’excellence européen dont l’un des pôles français avait été proposé par
le Ministère de la Recherche, en région Île-de-France.
Pour l’aide précieuse apportée à la réalisation de ce projet, nous exprimons donc toute notre reconnaissance envers l’Institut et
la Fondation Louis D. Enfin, bien sûr, je ne saurais terminer sans remercier
chaleureusement ma famille. Mes grand-parents d’abord, maintenant disparus, mes
parents qui m’ont toujours encouragés et m’ont permis de réaliser mes études,
et ma femme et mes filles, qui par leur amour me procurent un soutien de tous
les instants. J’espère en être digne et je leur demande pardon pour les longs
moments passés loin d’eux, accaparé par le travail acharné que réclame l’étude
du cerveau par l’image.